Certificat d’urbanisme négatif, refus de permis de construire ou de permis d’aménager sur les communes littorales : comment réagir, quels sont vos droits ?

           Il est de jurisprudence constante que l’autorité administrative chargée de se prononcer sur une demande d’autorisation d’occupation ou d’utilisation du sol devait s’assurer, sous le contrôle du juge, de la conformité du projet avec les dispositions de la loi littoral, codifiées aux article L. 121-1 et suivants du code de l’urbanisme (en ce sens, CAA de MARSEILLE, 1ère chambre, 25 mai 2023, 21MA02047 ; Cf également. CE, sect., 31 mars 2017, n° 392186).

Pour rappel, la loi dite « loi littoral » du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral encadre les règles d’occupation et d’utilisation des sols aux abords du littoral. Cette loi contribue notamment à la protection des communes littorales et impose en conséquence la prise en compte de notions spécifiques telles que celles d’« espaces proches du rivages », d’ « extension limitée de l’urbanisation », de « bande des cent mètres »…

De ce fait, la loi littoral entraine irrémédiablement un durcissement des règles d’urbanisme aux abords des communes littorales, impactant les chances de se voir délivrer un certificat d’urbanisme, un permis de construire ou permis d’aménager.

Il convient d’évoquer les moyens d’actions dont dispose le propriétaire qui se voit opposer une réponse négative à sa demande d’urbanisme, à savoir la possibilité d’exercer un recours gracieux auprès de l’autorité administrative (I), ou encore un recours en annulation devant le juge administratif (II) voire l’exercice d’une action en responsabilité (III).

 

I- Le recours gracieux auprès de l’autorité administrative

 

Lorsque la demande de permis de construire ou de permis d’aménager est refusée par la commune, ou encore qu’un certificat d’urbanisme négatif est opposé, la première option qui s’offre au pétitionnaire (ou au propriétaire) est celle du recours administratif. 

Il s’agit d’un recours non obligatoire que l’on qualifie communément de recours gracieux

La particularité de ce recours est qu’il s’effectue auprès de l’autorité qui a rejeté la demande de permis. Ce recours présente des intérêts non négligeables, parmi lesquels : 

  • Permettre à l’Administration de revenir sur sa décision en lui faisant part des illégalités qui entachent son refus ;
  • Éviter d’aller devant le juge et donc échapper à une procédure plus longue (procédure d’une durée moyenne d’an et demi à deux ans et demi) ;
  • Prolonger le délai de recours contentieux afin de consolider le futur argumentaire qui sera soumis en contentieux devant le juge.

 

 

 

 

 

  1. La formation du recours gracieux. 

 

Un recours gracieux s’effectue sous la forme d’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par voie électronique (art. L112-8 Code des relations entre le public et l’administration (CRPA)).

 

De plus, un certain formalisme doit également être respecté : il faut impérativement solliciter le retrait de la décision de refus (CE, 5 mai 2011, n°336893) ou au moins solliciter de l’autorité qu’elle reconsidère sa position. 

  • En ce sens, ne constitue pas un recours gracieux un courrier qui se borne à relever des points d’illégalités sur un projet de construction sans demander à l’administration le retrait de la décision (CE, 30 mai 2001, SCI Les Jardins de Mennecy, n°204434).

Le recours gracieux doit être adressé à l’autorité qui a rendu le refus mais en cas d’erreur sur le destinataire, l’autorité incompétente à qui a été adressé le recours le transmet à l’autorité compétente (Art. L114-2 du CRPA).

Enfin, l’auteur du recours gracieux devra prêter une attention particulière à l’accusé de réception (ci-après « AR »).

En effet, parmi les indications que l’AR doit comporter, figurent : la date de réception de la demande et la date à laquelle à défaut de réponse, celle-ci sera réputée acceptée ou rejetée, ou encore, les mentions des voies de délai et de recours (Art. R.112-5 du CRPA).

En l’absence des mentions de voies et délais de recours, le délai de recours contentieux de deux mois n’est pas opposable et un délai raisonnable d’un an s’applique (CE, 9 novembre 2018, n°409872) à l’exception des recours gracieux formés par les tiers où l’absence d’AR n’a pas d’incidence sur le délai de recours contentieux qui reste opposable (CE, 16 octobre 1992, Touratier, n°107057).

 

  1. Délai et réponse de l’autorité administrative

La formation d’un recours gracieux prolonge le délai de recours contentieux s’il a été formé dans un délai de deux mois à compter de la notification du refus. 

Enfin, l’autorité administrative se prononcera dans un délai de deux mois et, selon sa décision, placera l’auteur du recours dans un des trois cas de figure suivants : 

  • Une réponse positive : entraîne le retrait de la décision négative et la satisfaction du requérant ;
  • Un rejet explicite (réception d’un courrier/courriel de rejet par l’autorité) : le requérant dispose de deux mois à compter de la notification du refus pour saisir le tribunal administratif ;
  • Un rejet implicite (pas de réponse formelle) : le silence de l’administration vaut refus au bout de deux mois à compter duquel le requérant dispose de deux mois pour saisir le tribunal administratif (II).

 

 

 

II- La saisine du juge administratif 

Lorsque l’autorité administrative rejette à tort une demande de permis de construire ou d’aménager, ou oppose un certificat d’urbanisme négatif, il convient de saisir le juge administratif afin de contester le refus et rétablir la légalité.

Le recours en annulation, également appelé recours pour excès de pouvoir (REP), peut directement être formé auprès du tribunal administratif sans recours administratif préalable (c’est-à-dire qu’un recours gracieux n’est pas obligatoire avant de saisir le tribunal administratif d’un recours en annulation contre une décision d’urbanisme négative).

La requête fait l’objet d’un certain formalisme car elle doit :  

  • Comporter l’exposé des faits et moyens de légalité interne et/ou externe (au moins un moyen qui permet d’apprécier le bien-fondé de la requête) (CE, 8 décembre 2000, Szmaja, 183836) ;
  • Comporter les conclusions soumises au juge (Art. R411-1 du code de justice administrative (CJA)).

C’est effectivement par le caractère complet de la requête que le juge pourra correctement contrôler la légalité de la décision de rejet (ses motifs et les conditions dans lesquelles elle a été prise).

Les délais : le recours en annulation doit être formé dans un délai de deux mois à compter de la notification du refus de permis de construire ou d’aménager, du certificat d’urbanisme négatif, ou du rejet du recours gracieux (R.421-1 CJA).  

  • A noter que le délai est interrompu par la formation d’un recours gracieux (Cf. supra) ou par une demande d’aide juridictionnelle déposée dans le délai de recours contentieux (CE, 10 janvier 2001, 211878).

 

La saisine du juge administratif permet de critiquer l’appréciation faite par le maire sur la conformité du projet à la loi littoral, en apportant au soutien de la requête les jurisprudences les plus pertinentes, attestant de la constructibilité du terrain ; mais également, en mettant en exergue le respect des dispositions du Schéma de COhérence Territoriale (ci-après SCOT) par le projet d’urbanisme porté par le pétitionnaire.

 

Néanmoins, si le refus d’autorisation, ou le certificat d’urbanisme négatif est jugé légal par le tribunal administratif, le propriétaire lésé pourra envisager, dans certaines situation, l’exercice d’une action en responsabilité (III).

 

III- La formation d’un recours en responsabilité

En dernier lieu, le pétitionnaire qui s’est vu opposer un refus dispose également de la faculté d’engager la responsabilité de l’Administration. À ce titre, il formera un recours en responsabilité qui, pour sa part, devra être précédé d’une demande indemnitaire préalable.

 

1.         Demande indemnitaire préalable et réponse de l’administration 

À la différence du recours en annulation, un recours en responsabilité devant le juge administratif doit impérativement être précédé d’une demande indemnitaire préalable. 

Cette demande prend généralement la forme d’une lettre recommandée avec avis de réception où le pétitionnaire expose, même brièvement, la faute alléguée de l’Administration ainsi que le préjudice subi et leur lien de causalité.

  • À noter que le caractère actuel, direct et certain du préjudice (matériel et/ou moral) doit être démontré.

Par ailleurs, même en cas de délégation, la demande se fait toujours auprès de la collectivité qui assume la responsabilité des erreurs commises par ses services.

Enfin, l’Administration dispose d’un délai de deux mois pour répondre au recours indemnitaire à l’issue duquel trois cas de figure peuvent se présenter : 

  • L’administration fait droit à la demande et répare l’intégralité des préjudices soulevés ;
  • L’administration rejette la demande par lettre recommandée avec AR mentionnant les délais et voies de recours ; 
  • L'administration garde le silence qui vaut refus de la demande au bout de deux mois. 

 

Dans les cas de rejet de la demande indemnitaire, le recours en responsabilité devant le juge administratif est ouvert.

 

2.         Délai et office du juge 

En cas de refus expresse de l’administration (donc en présence d’une décision formelle de refus), le requérant dispose de deux mois pour saisir le tribunal administratif compétent à compter de la notification de la décision de rejet. 

En cas de refus implicite (silence de l’administration) :  la saisine du tribunal administratif se fait sans conditions de délai tant que la créance n’est pas prescrite, soit, sous réserve de la prescription quadriennale.

Enfin, une fois saisi et sous réserve de la recevabilité de la requête, le juge examine et relève toutes les illégalités susceptibles d’entacher la décision de l’Administration et susceptibles d’engager sa responsabilité.

 

3.        Une responsabilité pour faute 

L’interdiction de construire qu’impose la loi littoral à certains secteurs n’ouvre droit à aucune indemnité par principe (L.105-1 Code de l’urbanisme). Ce n’est que lorsqu’une personne publique a commis une faute et indiqué à tort qu’une opération était réalisable qu’une action en responsabilité est possible.

Il en est de même pour des renseignements erronés. Dès lors, un recours en responsabilité est ouvert  par exemple dans les cas suivants :

  • L’erreur entre la valeur réelle et la valeur d’acquisition d’un terrain constitue un préjudice de nature à engager la responsabilité pour faute de la commune (CAA Nantes 26 septembre 2023, n°21NT02154) ;
  • L’achat d’un terrain pour un projet de construction des suites d’un certificat d’urbanisme positif illégal ayant conduit à une évaluation erronée du prix réel du terrain car considéré inconstructible par un certificat d’urbanisme négatif délivré postérieurement (CAA Nantes, 28 novembre 2023, 21NT02254 ; CAA Bordeaux, 18 novembre 2014, 14BX00720) ;
  • L’achat d’un terrain avec un permis de construire illégalement accordé (CAA Nantes, 19 avr. 2013, 12NT00219) ;
  • La réalisation d’un projet de construction avec un permis d’aménager illégal (CAA Nantes, 27 novembre 2015, 14NT00665) ;
  • Une succession sur la base d’un certificat d’urbanisme (CAA Nantes, 27 avril 2021, 20NT00402).

Par conséquent, lorsque la responsabilité pour faute de l’Administration est reconnue, le tribunal administratif fixe le montant de l’indemnité due au propriétaire lésé et indemnise (liste non exhaustive) :

  • Les préjudices financiers :
  • Les coûts de construction exposés en vain à la suite de l’annulation d’un permis de construire illégal (CE , 14 février 2007, n°284515) ;
  • La différence entre le prix d’achat et le prix réel du terrain (CAA Nantes, 23 avril 2024, 22NT00745) ;
  • L’acquittement de taxes (départementale, communale …), des frais de recouvrement (CAA Nantes, 28 novembre 2023, 21NT02254) ;
  • Les frais notariés exposés indument (CAA Nantes, 4 avril 2023, n°21NT00824) ;
  • Les frais de négociation (CE, 13 juin 1980, n°12647) ;
  • Les frais liés aux travaux de viabilisation réalisés en vue de la construction autorisée par la délivrance de permis de construire annulés (CE, 13 juin 1980, n°12647) ;
  • Etc.

 

  •  Le préjudice moral :
  • Du fait de la faute imputable à la commune (CAA Nantes, 23 avril 2024, 22NT00745) ;
  • Du fait du détournement de pouvoir du maire (CAA Toulouse, 23 novembre 2023, 21TL24224) ;
  • Les troubles dans les conditions d’existence du fait de la remise en cause du projet (CAA Nantes, 26 septembre 2023, 21NT02154).

Enfin, il appartient au propriétaire lésé de démontrer devant le juge administratif que les préjudices subis sont directement en lien avec l’illégalité de l’autorisation d’urbanisme. En ce sens, il sera par exemple nécessaire d’invoquer :

  • La volonté initiale du propriétaire de construire (joindre l’acte d’achat) ;
  • Le caractère constructible du terrain dont la mention figurait dans l’acte administratif confirmant la constructibilité ;

 

Mirella RAKOTOVAO

Juriste

Ronan BLANQUET

Avocat

 

 

 

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