La responsabilité de l’État du fait des dommages causés par les attroupements.

Outre les actions dirigées directement contre les auteurs des dommages (par exemple une plainte avec constitution de partie civile), les victimes peuvent engager la responsabilité de l’État du fait des préjudices causés par les attroupements.

Trois fondements juridiques peuvent être invoqués :

 

1. L’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure :

Un premier fondement de responsabilité résulte des dispositions de l’alinéa 1er de l’article L. 211–10 du code de la sécurité intérieure (ancien article L. 2216-3 du CGCT). Il dispose : « L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens ».

Cet article permet ainsi d’engager la responsabilité sans faute de l’État du fait de dommages intervenus lors d’attroupements ou de rassemblements.

 

Si les victimes n’ont pas à prouver de faute de l’Administration, elles doivent néanmoins établir que le dommage est en lien avec un attroupement ou un rassemblement.

Tel sera notamment le cas lorsque les auteurs de dégradations auront agi de manière spontanée dans le cadre d’une manifestation.

En revanche, si le dommage résulte d’agissements « prémédités et organisés » (sorte d’ « opération commando ») ne pouvant être rattachés aux débordements d’une manifestation, s’il a lieu un certain temps après le rassemblement,  ou encore dans un autre quartier que celui de l’attroupement, la responsabilité de l’État ne pourra pas être recherchée sur ce fondement (en ce sens, Conseil d’État, 11 juillet 2011, numéro 331 669 ; Cour Administrative d’Appel de Nantes, 15 décembre 2015, numéro 14NT01609).

 

Le régime prévu par l’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure suppose également que le dommage résulte d’un crime ou d’un délit (en ce sens, Cour Administrative d’Appel de Douai, 26 mars 2009, n° 08DA01010). Il n’ouvre donc pas droit à indemnisation si le préjudice est dépourvu de lien avec une infraction.

 

Le juge administratif contrôlera encore, avec une grande vigilance, l’existence d’un lien de causalité « direct et certain » entre le dommage et les agissements délictueux (en ce sens, Cour Administrative d’Appel de Nantes, 5 juillet 2013, n°11NT03064).

 

Dès lors que ces trois conditions seront remplies, le juge imposera à l’État « la réparation intégrale du préjudice ».

Dans son avis contentieux du 6 avril 1990 n°112497, le Conseil d’État a estimé que peuvent être indemnisés non seulement les « dommages corporels ou matériels, mais aussi, le […] préjudice commercial consistant notamment en un accroissement de dépenses d'exploitation ou en une perte de recettes d'exploitation ».

Par conséquent, l’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure permet aux victimes, qu’il s’agisse d’une personne privée, d’une société ou d’une commune, d’obtenir l’indemnisation son entier préjudice.

 

2. La responsabilité pour faute de l’Etat :

Dans l’hypothèse où l’article L 211–10 ne trouve pas à s’appliquer, la victime pourra également engager la responsabilité de l’État sur le fondement de la faute commise dans la mise en œuvre des services de police.

Une telle action suppose cependant l’existence d’une « faute lourde » c’est-à-dire d’une particulière gravité (en ce sens, Cour Administrative d’Appel de Nantes, 5 juillet 2013, numéro 11NT03064).

La faute lourde est notamment caractérisée si, malgré une action prévisible, l’État s’est abstenu de faire usage de ses pouvoirs de police, alors même que leur emploi n’était pas de nature à créer un risque sérieux de troubles graves à l’ordre public (en ce sens, Cour Administrative d’Appel de Douai, 6 novembre 2014, numéro 13DA00411 ; ou a contrario, Cour Administrative d’Appel de Lyon, 6 juin 2013, n° 12LY01250).

 

3. La rupture d’égalité devant les charges publiques :

Si l’État a décidé de ne pas faire usage de la force publique afin d’éviter un trouble encore plus important à l’ordre public, la victime pourra fonder son action sur la responsabilité de l’administration pour rupture d’égalité devant les charges publiques (en ce sens, Cour Administrative d’Appel de Nantes, 11 janvier 2013, numéro 11NT02106).

Ce fondement de responsabilité suppose cette fois que le préjudice soit « anormal », donc d’une particulière gravité, et « spécial », ce qui signifie qu’il ne doit atteindre que certains membres de la collectivité.

Autrement dit, si le préjudice est modéré ou encore s’il s’est généralisé un groupe important de victimes la responsabilité de l’État ne sera pas retenue (en ce sens, Cour Administrative d’Appel de Nantes, 15 décembre 2015, n°14NT1609).

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Ainsi, il existe de multiples fondements juridiques pour engager la responsabilité de l’État lors de dommages causés par des attroupements ou des rassemblements. Toutefois, le juge administratif sera très rigoureux dans l’analyse du bien-fondé des prétentions du requérant, lui imposant d’être très précis dans son recours, s’il entend être indemnisé de son entier préjudice.

 

Ronan Blanquet

Avocat au barreau de Rennes

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