Expropriés, quels sont vos droits ?

L’expropriation est une procédure permettant à une administration de déposséder un propriétaire de son bien, à un prix non fixé par ce dernier, afin de réaliser un projet d’utilité public.

 

  1. Les personnes et biens concernés
  2. L’exigence d’une utilité publique
  3. La phase administrative : enquête préalable, DUP et cessibilité
  4. L’intervention de l’autorité judiciaire dans le transfert de propriété
  5. Droits des expropriés après l’expropriation

 

Fruit de la Révolution, la propriété fait l’objet d’une protection particulière en France car elle constitue « un droit inviolable et sacré (…) » (Article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789). Toutefois, il existe une limite à ce droit justifiée par la « nécessité publique ».

La procédure d’expropriation l’illustre parfaitement.

Divisée en deux phases, administrative et judiciaire, cette procédure est initiée par l’Etat ou par ses représentants (généralement le Préfet de département). Concrètement, l’Etat va user de ses prérogatives de puissance publique pour obtenir la propriété d’un immeuble. La procédure ne pourra cependant prospérer que si elle présente une utilité publique et en contrepartie d’une juste et préalable indemnité à destination de la personne expropriée.

Ici, il convient de se poser certaines questions : Qui et quels biens peuvent être concernés ? Quelles sont les autorités publiques habilitées ? (1) Comment définir l’utilité publique ? (2)  Quelles sont les procédures et recours ? (3, 4) Quid des droits pour les expropriés après l'expropriation ? (5)

 

  1. Les personnes et biens concernés

       a. Les personnes : entre expropriant et exproprié

L’expropriant est celui qui bénéficie de l’expropriation. L’Etat, les collectivités territoriales (régions, départements, communes) et leurs établissements publics peuvent être bénéficiaires de l’expropriation. Par ailleurs, l’Etat est toujours l’initiateur de la procédure mais celle-ci peut bénéficier à une autre personne, publique ou privée. A titre d’exemple, les organismes de droit privé poursuivant un but d’utilité publique peuvent être bénéficiaires de l’expropriation.

L’exproprié est -sauf exception- une personne privée (ex : un particulier, un agriculteur, une entreprise, un commerçant, un artisan etc.). Il peut également s’agir d’une personne publique dont le bien immobilier relève de son domaine privé.  

       b. Les biens : des immeubles, des droits réels immobiliers et certains meubles

Les immeubles, bâtis ou non bâtis (terrain, forêt etc.), donnés en location ou libres d’occupation, peuvent être l’objet d’une procédure d’expropriation. Aussi, la procédure peut concerner la totalité de l’immeuble, une partie de celui-ci mais également le tréfonds (CE, 22 juillet 1994, n°89750, Mme Hannouz).

Les droits réels immobiliers (usufruit, droit d’usage, droit d’emphytéose, etc.) sont également concernés (Art. 1 Code de l’expropriation (C. expr.)). Ainsi, une expropriation peut avoir pour objet la suppression des servitudes incluses dans un acte de vente à une commune de terrains appartement à un particulier (CE, sect., 27 mars 1987, n°58085).

Enfin, certains biens meubles désignés par la loi peuvent faire l’objet d’une expropriation à titre exceptionnel (ex : les inventions concernant la défense nationale, la nationalisation des usines de guerre, etc.).  

 

        2. L’exigence d’une utilité publique

L’utilité publique se matérialise par la déclaration d’utilité publique (ci-après DUP).

Elle a évolué dans le temps et s’applique désormais à des opérations de construction de logements, d’urbanisme (et peut légalement concurrencer les initiatives privées), d’hygiène et de santé publique. De même, elle s’étend au développement de la culture, des sports et du tourisme, à la recherche scientifique et à la défense de l’environnement.

Bien que certains textes précisent les circonstances justifiant le recours à l’expropriation, c’est la jurisprudence qui définit le contenu de la notion d’utilité publique. Ainsi, il incombe au juge administratif de s’assurer de l’existence réelle ou non d’une utilité publique en vérifiant que l’expropriation est rendue nécessaire et en appliquant la « théorie du bilan » (CE, ass., 28 mai 1971, n°78825, Ville nouvelle Est ; CE, 19 octobre 2012, n°343070, Commune de Levallois-Perret).

 

***

 

La procédure d’expropriation se déroule en deux phases.

La phase administrative, qui détermine l’utilité publique de l’opération et identifie les propriétaires et les immeubles touchés.

La phase judiciaire permet le transfert de propriété et la fixation du montant des indemnités dues.

 

       3. La phase administrative : enquête préalable, DUP et cessibilité

        a. Consultations et enquêtes préalables

En amont de la DUP, l’Etat, ses collectivités territoriales ou établissements publics sont tenus de solliciter l’avis des autorités idoines. Il en est ainsi dans le cas des acquisitions poursuivies par voie d’expropriation où l’avis de la Direction de l’Immobilier de l’Etat est requis.

Ensuite, l’utilité publique doit être constatée à l’issue d’une enquête qui peut être, selon les cas, une enquête publique environnementale ou une enquête publique relevant du Code de l’expropriation (C.expr. art. L110-1).   A ce titre, l’expropriant effectue une demande d’ouverture d’enquête publique au préfet du département qui peut y procéder par arrêté (C.expr. art. R112-1). L’objet, la date et la durée de l’enquête (qui ne peut être inférieure à 15 jours) sont déterminés par ce dernier après consultation du commissaire enquêteur ou du président de la commission d’enquête (C. expr. art. R112-12).

En fonction de l’opération envisagée, l’expropriant devra également adresser un dossier d’enquête (C.expr. art. R.112-4 et R.112-5).

Enfin, l’enquête est menée par le commissaire enquêteur et les membres de la commission d’enquête, impartiaux et indépendants, qui examinent les observations publiques consignées sur les registres d’enquête (C.expr. art. R112-17) et formulent à l’issue de celle-ci des conclusions motivées au préfet en précisant si elles sont favorables ou non à l’opération projetée (C.expr. art. R112-19).

 

        b. Déclaration d’utilité publique et arrêté de cessibilité

La DUP doit intervenir au plus tard un an après la clôture de l’enquête préalable (C.expr. art. L121-2) et est déclarée, selon les cas, par arrêté préfectoral ou par arrêté ministériel (C.expr. art. R121-1).

Cette déclaration doit faire l’objet d’une publicité par voie d’affichage et autorise l’administration à poursuivre l’expropriation des immeubles et à exécuter les travaux visés par le projet en précisant le délai accordé (C.expr. art. L121-4).

A la suite de la DUP, le préfet prend un arrêté de cessibilité qui constitue l’acte par lequel il détermine les parcelles à exproprier et identifie les propriétaires de celles-ci (C.expr. art. L132-1). Celle-ci est précédée d’une enquête parcellaire (C.expr. art. R131-1 à R131-14).

L’édiction de l’arrêté de cessibilité met fin à la phase administrative et l’ensemble des pièces est transmis au juge de l’expropriation.

 

       c. Contentieux de la phase administrative

  • Comment contester une DUP ?

Le recours en annulation, qui doit être déposé dans le délai de deux mois à compter de la publication de la décision attaquée auprès du tribunal administratif. Toutefois, si le délai de recours est restreint, le délai de jugement est en général de deux ans (variable selon le tribunal administratif saisi). Or, le recours en annulation n’a pas d’effet suspensif, la procédure d’expropriation peut se poursuivre !

La DUP peut encore être contestée, par la voie de l’exception d’illégalité, à l’appui du recours contre un arrêté de cessibilité (CE, 12 octobre 2018, n°417016). Cependant, nous déconseillons d’attendre l’intervention de l’arrêté de cessibilité pour contester la DUP. En effet, passé un délai de deux mois, il n’est plus possible de critiquer les vices de procédure de la DUP : attendre l’arrêté de cessibilité pour contester la légalité de la DUP, c’est se priver de nombreux points de contestation.

Il est encore possible d’exercer une action en responsabilité, pour faute, si la DUP est illégale et qu’elle cause un préjudice à l’exproprié.

 

  • Comment contester un arrêté de cessibilité ?

A l’instar de la DUP, l’arrêté de cessibilité peut faire l’objet d’un recours en annulation.

Le principal intérêt de la contestation de l’arrêté de cessibilité, c’est la possibilité de saisir le juge des référés, lequel pourra en suspendre les effets (et donc ceux de la procédure) s’il y a une illégalité, à condition que le juge de l’expropriation n’ait pas déjà pris l’ordonnance d’expropriation. Le juge des référés statue dans un délai d’un mois.

 

       4. L’intervention de l’autorité judiciaire dans le transfert de propriété

       a. Transfert de propriété

Le préfet du département transmet à la juridiction judiciaire un dossier comportant toutes les pièces permettant le constat du bon déroulé des formalités précédemment évoquées (C.expr. art. R221-1). 

Dans les 15 jours de la réception du dossier complet, le juge de l’expropriation prononce par ordonnance l’expropriation des immeubles et des droits réels déclarés cessibles (C.expr. art. R221-2).

L’ordonnance d’expropriation a ainsi pour effet de transférer juridiquement la propriété des immeubles et des droits réels immobiliers des expropriés à l’expropriant, à défaut d’accord amiable.

Néanmoins, même si le transfert de propriété est immédiat, dès le prononcé de l’ordonnance, cela ne signifie pas la perte de la disposition du bien pour l’exproprié : la prise de possession ne pouvant intervenir qu’une fois l’indemnisation versée.

 

        b. Indemnisation et prise de possession

Le bénéficiaire de l’expropriation ne pourra effectivement prendre possession du bien qu’après paiement ou consignation de l’indemnité par l’expropriant (CE, 8 mai 1968, n°70918). Dans l’attente, l’exproprié pourra toujours jouir de son bien. Il ne pourra cependant plus le vendre ou constituer une hypothèque sur celui-ci.

La fixation des indemnités se fait d’abord par accord amiable mais à défaut d’accord, le juge de l’expropriation se charge de les fixer.  L’indemnité d’expropriation doit couvrir l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation (C. expr. Art. L321-1). Concrètement, elle doit permettre à l’exproprié de se replacer en même et semblable état, mais celui devra justifier de son droit d’indemnité en produisant des justificatifs.

Enfin, dans l’hypothèse où les indemnités ne sont pas payées ou consignées dans un délai d’un an, l’exproprié peut demander qu’il soit à nouveau statué sur le montant (C.expr. art. L323-4).  

S’agissant de la prise de possession, l’expropriant ne pourra prendre possession du bien qu’après la notification de l’ordonnance d’expropriation à l’exproprié et un mois après le paiement intégral ou la consignation de l’indemnité.

 

       5. Droits des expropriés après l’expropriation

       a. Droit de rétrocession

La rétrocession permet à l’exproprié de demander à l’expropriant le retour des immeubles dans leur patrimoine dans le cas où ces derniers n’ont pas reçu, dans le délai de cinq ans, la destination prévue par la déclaration d’utilité publique ou ont cessé d’y répondre (C.expr. art. L421-1).

 

       b. Droit de relogement

Le droit au relogement permet la protection des occupants (C.expr. art. L423-5).

A titre d’exemple, les propriétaires de locaux d’habitations expropriés peuvent se voir attribuer des logements HLM en priorité, en qualité de locataires ou de propriétaires sous certaines conditions (C. expr. art. L423-1).

S’agissant d’une expropriation portant sur une maison individuelle, le relogement s’effectue dans un local similaire (C. expr. art. L423-2).

 

Ronan BLANQUET

Avocat

Mirella RAKOTOVAO

Juriste

 

 

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